"Everything is what it is, and not another thing” — Joseph Butler
“Everything is what it is, and not another thing, unless it is another thing, and even then it is what it is”
Test: et vous quelle est votre ip (intelligence-philosophique?)
Attention, ceci n’est pas un test de QI traditionnel ! Ici, pas de bonne ou de mauvaise réponse. Mais plutôt une façon de répondre de manière ludique à l’injonction « Connais-toi toi-même ! »
Il ne s’agit nullement ici de mesurer votre intelligence. Mais plutôt de comprendre quelle est votre type d’intelligence philosophique. Il ne s’agit donc pas d’une approche quantitative mais qualitative.
Dans les tests de calcul du quotient intellectuel (QI), on propose de résoudre des exercices de logique. C’est évidemment un peu stressant, car il n’y a à chaque fois qu’une seule bonne réponse. Ici il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse aux questions posées : il y a seulement une explication d’un phénomène ou une réaction à une situation donnée qui vous paraîtra plus appropriée que les autres. C’est pourquoi vous pouvez cocher ou noter, sans crainte de vous tromper, l’argument qui a votre préférence. Vous êtes prêt(e) ? C’est parti !
À vos yeux, le fait que le vin soit rouge, c’est :
◆ La couleur du sang et de la passion.
* Une qualité non essentielle de ce liquide, qui peut aussi être blanc ou rosé.
● Le résultat de la macération des peaux, lesquelles ont un pouvoir colorant, dans le jus en fermentation.
✖ Lié à la perception humaine, car le chien voit le vin gris.
Quand on vous demande si vous croyez en Dieu, vous répondez :
* Qu’il faut bien qu’il y ait un premier principe à l’origine du monde et qu’on peut l’appeler Dieu si l’on veut.
◆ Qu’il est temps d’en finir avec cette vieille superstition.
● Que ce sont ceux qui affirment son existence qui doivent apporter des arguments probants, et non ceux qui la nient.
✖ Que le mot « Dieu » renvoie à une certaine idée de l’infini ou de l’absolu, dont l’homme peut difficilement faire son deuil.
Pourquoi est-il si agréable de caresser le corps de la personne aimée ?
● Parce que la peau est douce au toucher.
✖ Parce que je ne suis jamais si près d’autrui que dans un tel moment.
◆ Parce qu’il y a une beauté émouvante dans ce geste.
* Mieux vaut ne pas en abuser, la sensualité engourdit l’intelligence.
Votre médecin est en retard, vous allez devoir patienter une heure dans la salle d’attente :
*Tant mieux, c’est l’occasion de faire une pause et de réfléchir avec un peu de distance à vos occupations de ces derniers jours.
● Votre portable est connecté, vous allez pouvoir répondre à quelques e-mails en retard et gagner du temps pour la suite de la journée.
✖ Vous avez toujours trouvé l’attente délicieuse, à condition de ne pas l’occuper et de s’abandonner entièrement au vide.
◆ C’est exaspérant. Heureusement qu’il y a des magazines sur la table basse.
Hélas ! les journaux du matin sont encore plein de nouvelles sinistres. Mais pourquoi l’être humain est-il tellement porté à faire la guerre ?
● Parce qu’Homo sapiens a peu changé depuis le Néolithique et demeure une espèce aux instincts prédateurs.
◆ Parce que l’histoire de l’humanité est une tragédie toujours recommencée.
✖ Parce que chacun s’imagine promis à posséder le monde et qu’il en résulte une lutte sans fin entre les hommes et entre les nations.
* Ne soyons pas naïfs, la guerre est souvent justifiée et il faut du courage pour la faire.
Votre idée du bonheur :
◆ Ce n’est pas le bonheur que vous recherchez, mais à mener une vie intense.
* Le bonheur, c’est d’abord la tranquillité, que le monde actuel ne favorise pas assez.
✖ Il s’agit de trouver une sorte d’équilibre entre le moi et le monde, entre le dedans et le dehors.
● Le bonheur naît de la satisfaction des besoins et des désirs.
Vous allez au travail. Mais au fait, pourquoi travaillons-nous ?
* C’est notre principale façon de prendre part à la vie sociale.
● Pour gagner de l’argent.
◆ Le travail, c’est d’abord la construction de soi.
✖ Il y a une sorte de masochisme dans le travail, qui donne de la satisfaction par-delà la fatigue et la contrainte.
Vous entrez dans une librairie :
* Comme vous aimeriez avoir tout lu !
● Vous demandez au libraire s’il a bien reçu votre commande.
◆ Encore une fois, vous allez hésiter entre les essais et les romans.
✖ Vous observez le libraire et vous pensez, à part vous, que son pull, ses lunettes et sa mine sérieuse, ainsi que le silence compassé qui règne dans sa boutique sont les préparatifs nécessaires à la lecture.
Chez des amis, un chat vous saute sur les genoux :
● Vous profitez de cette occasion pour observer de plus près son comportement, qui vous intrigue.
* Vous le reposez délicatement par terre, il a peut-être des puces.
✖ Vous le caressez, tout en vous demandant si le ronronnement est un langage ou seulement une sorte de réflexe.
◆ Vous le rejetez discrètement.
L’essentiel dans l’éducation d’un enfant, c’est :
* De donner le bon exemple, car les enfants nous imitent.
◆ D’enseigner la liberté d’esprit et la confiance en soi. Avec cela, on peut réussir dans tous les domaines.
● De transmettre des compétences et les règles de la vie sociale les plus élémentaires.
✖ L’échange : les enfants éduquent les parents autant que l’inverse.
Les élections approchent…
◆ Cette fois-ci, vous n’irez pas voter. Les candidats sont trop médiocres.
● Vous lisez les programmes de chaque parti pour voter pour un projet et non pour un homme.
✖ Vous faites votre choix en vous fondant sur les programmes mais aussi sur la personnalité des candidats, car on ne peut pas séparer les idées de l’humain qui les porte.
* Vous considérez le vote comme un impératif pour tout citoyen, même si cela ne vous enthousiasme guère.
Aux SDF qui font la manche :
* Il vous arrive de donner une pièce de temps à autre, mais vous considérez que c’est aux services sociaux de s’en occuper.
◆ Vous ne donnez presque jamais. Ce ne sont pas un euro ou deux qui les tireront d’affaire.
● Vous leur donnez, quand vous avez l’impression que l’argent servira à acheter de la nourriture et non de la bière.
✖ Vous donnez à ceux qui vous font de la peine.
Vous venez d’attraper une bonne grippe :
* Cela passera, vous prenez juste un peu de repos.
● Vous filez chez le médecin pour vous faire prescrire des antibiotiques.
◆ Vous ne détestez pas la fièvre et, parfois, vous vous êtes senti(e) très inspiré(e) dans cet état-là.
✖ C’est sans doute psychosomatique ! Vous éprouviez comme un malaise existentiel ces derniers temps.
Une tante vient de décéder et vous laisse l’équivalent d’une année de votre salaire :
◆ Vous vous faites plaisir : vous décidez de prendre une année sabbatique et de voyager.
* Vous vous renseignez sur un placement sûr au meilleur taux.
● Pourquoi ne pas créer une entreprise avec ce premier capital ?
✖ Vous vous demandez d’abord comment votre tante aurait apprécié que vous utilisiez son argent, et vous en tenez compte dans votre décision.
L’institution du mariage, c’est :
● Une manière de donner une certaine pérennité à l’amour, car le désir à lui seul n’y suffit pas.
◆ Un héritage du passé, qui n’a plus tellement lieu d’être révéré.
✖ Une aventure spirituelle, car il s’agit de partager sa vie avec quelqu’un d’autre.
* Le socle sur lequel repose la société : la famille est la première institution.
Pourquoi aimons-nous voir des films qui nous font parfois pleurer ?
* Pour évacuer les émotions négatives qui nous habitent.
◆ Parce que cela nous change un peu du train-train quotidien, que cela fouette l’imagination.
✖ Parce que nous touchons, de cette façon, au cœur battant de la condition humaine.
● Parce que le cinéma permet d’éprouver toute la gamme des émotions sans bouger de son fauteuil.
Le plus grand changement qu’a apporté Internet dans votre vie, c’est :
✖ La possibilité d’échanger en permanence, par e-mail, par Skype, par Facebook, avec vos collègues et les gens que vous aimez.
● L’accès à Wikipédia et à des informations sur tous les sujets que vous souhaitez.
* Une source de distraction et de confusion, car vous passez trop de temps à répondre à des e-mails ou à surfer.
◆ La liberté de pouvoir mettre en ligne les textes que vous écrivez, la musique que vous composez, vos photos et vos vidéos : un terrain d’expression extraordinaire !
La mort, à vos yeux c’est :
* Un passage vers un autre état, dont on ne sait rien.
● Un arrêt du muscle cardiaque et de l’activité cérébrale, qui précède une décomposition inéluctable de l’organisme.
◆ À la fois le drame et la chance de l’être humain, qui doit rendre sa vie digne d’être vécue.
✖ La limite extrême et le point culminant de la vie.
Maintenant, vous pouvez compter vos points.
Verticalement, faites la somme de vos réponses * et ✖ et celle de vos réponses ● et ◆. Ne conservez que le résultat le plus élevé : il vous permettra de vous situer sur l’axe vertical du repère suivant. Si * + ✖ > ● + ◆, vous êtes du côté de la métaphysique. Si ● + ◆ > * + ✖, vous êtes du côté de l’expérience. En cas d’égalité, vous êtes sur l’axe.
Horizontalement, faites la somme de vos réponses * et ● et celle de vos réponses ◆ et ✖. Ne conservez que le résultat le plus élevé : il vous permettra de vous situer sur l’axe horizontal du repère suivant. Si * + ● > ◆ + ✖, vous êtes du côté de la méthode démonstrative. Si ◆ + ✖ > * + ●, vous êtes du côté de la méthode descriptive. En cas d’égalité, vous êtes sur l’axe.
"Apocalipse climático" é como muitos cientistas chamam agora aos tempos em que vivemos. Acredita-se que temperaturas recordes de cerca de 50°C no Canadá e nos Estados Unidos nas últimas semanas tenham causado milhares de mortes e uma dúzia de incêndios devastadores. E as actuais inundações mortais na Alemanha e Bélgica são um sinal de uma profunda desestabilização do clima mesmo na "zona temperada": como se as catástrofes naturais, ligadas ao aquecimento global, estivessem a tornar-se a norma.
Se a expressão levanta questões, é porque o termo "apocalipse" tem algo de profético e rima com "fim do mundo". Então, o que é que os cientistas nos tentam dizer? Que já é demasiado tarde? Ou que, tal como o filósofo Jean-Pierre Dupuy em Pour un catastrophisme éclairé (Seuil, 2002), é tempo de tomar o inimaginável como real?
O inimaginável...
Inimaginável. Esta é a palavra certa para descrever a onda de calor que a América do Norte tem sofrido nas últimas semanas. Segundo o climatologista holandês, Geert Jan van Oldenborgh à revista Science News nenhum estudo científico tinha previsto tais temperaturas, mesmo tendo em conta os efeitos nocivos das alterações climáticas. Na maioria das regiões, os registos históricos de calor foram quebrados por 5°C, muito mais do que a maioria das simulações previam. "Foi um acontecimento extraordinário: nenhuma palavra existente o pode descrever", explicou o especialista.
As consequências deste calor extremo foram particularmente visíveis nos oceanos, lembrando-nos da importância fundamental da água num "planeta azul" que é 75% coberto por ela. "Os animais aquáticos estão a ferver nas suas conchas, e a fruta está a cozinhar nas árvores", escreveu a colunista Rebecca Solnit no Guardian há alguns dias atrás. A imagem é poderosa e quase irreal, mas é a verdade: nas praias, na maré baixa, o fedor dos invertebrados e dos moluscos cozidos (nos seus milhares de milhões) é avassalador. Um cenário digno de ficção, do qual o apocalipse é normalmente o objecto de fantasia.
Amoureuses ou passagères, fusionnelles ou traumatisantes : cinq témoins, hommes et femmes, gay et hétéros, nous livrent leurs aventures sexuelles les plus marquantes. La philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil commente ces récits, convaincue d’y trouver des expériences fondatrices.
« Il n’y a pas de consentement éclairé », note Clotilde Leguil dès les premières pages de Céder n’est pas consentir. Dans ce récent essai, la philosophe et psychanalyste mène une « approche clinique et politique »approfondie d’une notion pourtant indécise, entre le pacte de confiance et le laisser-faire. C’est, comme elle le démontre en s’appuyant sur des exemples tirés de la littérature ou du cinéma, qu’on ne sait jamais a priori à quoi l’on consent exactement. Là résident à la fois la beauté et l’immense danger du consentement. Voici l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné spontanément vers cette spécialiste de Freud, de Sartre et de Lacan, qui a beaucoup réfléchi à la possibilité de penser une subjectivité débarrassée des normes et des stéréotypes : pour comprendre, dans la nuance des voix singulières, le trouble qui préside à toute rencontre, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Car Clotilde Leguil se penche sur les zones grises de notre identité, à l’endroit où les certitudes sur soi et autrui se brouillent. Elle a donc répondu avec enthousiasme à cette demande d’entretien, en apprenant que nous parlerions de la sexualité, mais sous l’angle de sa gravité, comme d’une expérience extraordinaire qui menace à tout moment d’ébranler les fondations de notre être. « La sexualité, explique-t-elle,ne relève finalement d’aucune technique. Il y a dans nos expériences toujours quelque chose d’un peu trop tôt ou d’un peu trop tard. Ce n’est jamais parfaitement le bon moment. Chaque rencontre nécessite d’être subjectivée, en se demandant : que m’est-il arrivé ? Quels mots mettre sur ce qui s’est produit ? Et il faut parfois en inventer de nouveaux pour rendre compte de l’inédit voire du traumatisme. » Ce sont ces mots que nous avons essayé de trouver, à la lecture de cinq récits intimes et déterminants que des femmes et des hommes ont accepté de livrer, afin de mesurer ce que la sexualité comporte de libérateur mais aussi d’impératif. Ces témoins de tous âges et de toutes orientations, avec leurs rencontres amoureuses ou passagères, « nous arrachent à la mythologie d’une harmonie sexuelle. Ils témoignent au contraire d’une forme de non-savoir sur notre propre désir, d’une faille dont il n’est pas facile de parler et dont ils s’ouvrent pourtant avec une touchante véracité ». Levons ensemble un coin du voile, frottons-nous sans pudeur excessive ni préjugés à ce savoir confus. Et mettons-nous à nu, pour une fois ?
« Mon entrée dans la sexualité a commencé par un viol. Nous étions tous les deux lycéens, et, lors d’une soirée, j’étais complètement bourrée. Je conserve seulement quelques images de l’acte. Je me souviens m’être réveillée le matin avec un mélange de fierté, d’avoir fait ma première fois, et quelque chose d’autre, d’inqualifiable. J’ai mis un an à comprendre pourquoi je me sentais mal, puis je suis entrée dans une période de réappropriation de mon corps. Je préfère en parler avant de coucher avec quelqu’un, parce qu’il peut m’arriver d’avoir un blocage physique – le vaginisme, plus commun qu’on ne l’imagine –, même si je désire avoir un rapport sexuel. J’explique : “Tu es prêt ? Avec moi, c’est une chasse au trésor, il va falloir découvrir comment on peut fonctionner ensemble.” Certains garçons ont été gênés de ne pas y arriver. C’est dur, parce que ça te renvoie à ta condition de victime : tu es encore victime de ce qu’il s’est passé. Le premier qui m’a aidée à me réconcilier avec le sexe était plus âgé. Il m’a dit : “Ne t’inquiète pas, on va réessayer une autre fois et ça marchera peut-être.” J’ai senti une différence de maturité, de patience, et j’ai compris que baiser, c’était cool. J’ai aussi eu une relation avec un garçon qui avait beaucoup plus de conquêtes sexuelles que moi. Un jour, je lui ai dit : “Là, tu ne me fais pas l’amour, tu réalises une performance…” J’avais moins d’expériences, mais j’ai réussi à lui apporter quelque chose. Enfin, il y a eu une troisième expérience libératrice pour moi. Longtemps, j’ai fermé les yeux pendant la pénétration. J’étais dans une sorte d’introspection, centrée sur moi-même, mes sensations, ce qui se passait… Un garçon me l’a fait remarquer. C’est bête, mais il me l’a simplement dit, ce qui m’a permis d’en prendre conscience. Je me suis approprié cette réflexion, et j’ai réussi à ouvrir les yeux : ça a été une nouvelle phase de ma guérison. Vivre des expériences sexuelles avec des personnes différentes m’a permis d’en apprendre plus sur moi-même. Tous les garçons que j’ai connus m’ont accompagnée dans la réappropriation de mon corps. »
« Alexandra rend compte d’une première expérience dont elle était absente, subjectivement parlant. Sous l’emprise de l’alcool, personne n’était là, le sujet avait disparu, et pourtant c’est arrivé. Des traces lui restent dans le corps, comme la commémoration de cet événement traumatique, qui s’est accompagné d’un franchissement dans son corps, d’un abus. Qu’elle emploie le terme “inqualifiable” montre bien que le terme de “viol” comme qualification juridique ne suffit pas à dire l’ampleur de ce qui lui est arrivé personnellement, et qui est littéralement “inarticulable”. Il lui a d’ailleurs fallu un an avant qu’elle puisse se retourner sur ce qu’elle a vécu depuis ce trouble et cette confusion laissée par l’expérience traumatique. Il faut cette dimension de l’“après-coup”, du Nachträglich dont parle Freud à propos du traumatisme, pour subjectiver les événements passés, pour s’apercevoir de ce qui a pu nous marquer. La “réappropriation du corps”, dont parle Alexandra, m’a fait songer au titre du film de Jérémy Clapin, J’ai perdu mon corps [2019], que je cite dans mon dernier essai. Il est en effet question de se réapproprier le corps qu’on a perdu, en le ré-apprivoisant, en ne cédant plus à la tentation de l’absence, en pouvant enfin être présent à soi. “Se réapproprier son corps” est une expression paradoxale. Car on a bien un corps, et le droit à en disposer, l’habeas corpus, est fondamental dans nos sociétés. Cependant, le corps n’est pas notre être. On peut s’identifier à son désir, à ses paroles, à son histoire, mais on ne peut pas dire en toute logique : “je suis” mon corps. La réappropriation de ce partenaire étrange consiste plutôt à prendre au sérieux ce qui se passe en lui, sans que je le sache exactement, sans que je le comprenne finalement toujours très bien. »
« La première véritable expérience a été marquante pour moi. J’avais 16 ans et je suis passé d’un coup à un autre stade de ma vie, en quittant une intimité très maladroite. J’étais en vacances l’été avec des amis de mes parents, une fille est venue à ma rencontre sur la plage. Elle me plaisait, et je faisais le mur pour aller la voir, le soir. J’ai rapidement mélangé le sexe et les sentiments. Par la suite, j’ai eu une longue correspondance épistolaire avec elle, me laissant penser qu’elle avait eu elle aussi des sentiments. Grâce à elle, j’ai en tout cas cessé d’être un gamin. J’ai démontré que je pouvais intéresser le sexe opposé, que mon manque d’assurance n’avait rien à voir avec mon physique. J’ai ensuite eu beaucoup de partenaires, mais je n’ai jamais eu de coups d’un soir. Je ne suis pas un coureur. C’est peut-être un reste d’éducation judéo-chrétienne, mais je ne veux pas être un “salaud”. La deuxième étape importante dans ma vie sexuelle tient à une expérience mystique. Une nuit, j’ai éprouvé physiquement ce que ressentait ma partenaire, avec elle, dans une fusion profondément bouleversante. Je recevais et donnais un plaisir inédit. La dernière étape de cette “éducation” a été la relation passionnelle avec ma dernière compagne, rencontrée autour de 43 ans. À ce moment, j’étais sûr de moi, conscient de tout ce qui pouvait se passer dans son corps et le mien. Je suis célibataire aujourd’hui. Mais je me sens pleinement libéré, comme si j’avais synthétisé toutes les bonnes et les mauvaises expériences, et fait la somme de tout ce que j’ai vécu, de tous les plaisirs que j’ai pu connaître. Je me suis cherché, mais je sais maintenant que ma pratique, si banale soit-elle, n’appartient à aucun autre. Elle ne me définit pas complètement non plus. Je suis le père de deux filles, et j’ai commencé à aborder le sujet avec la plus âgée. J’essaie de lui dire que nos expériences et nos actions nous façonnent, mais que notre orientation sexuelle comme notre couleur de peau ou notre physique ne nous définissent jamais complètement. »
« L’orientation sexuelle ne délivre jamais une identité, dit Pascal. Il existe des normes sociales faute de norme sexuelle, dit autrement Lacan. Le psychanalyste montre en effet que notre “stéréotype” – pas les stéréotypes en général, le nôtre – tient à un style singulier dans la recherche de la jouissance. Chacun a le sien. Pascal, lui, témoigne d’une sensibilité à la jouissance féminine. Il a d’abord été cueilli par la contingence de la rencontre, et cette première fois s’est prolongée dans une expérience épistolaire. Dans l’un de ses séminaires, Lacan évoque la lettre d’amour comme ce qui doit être dit ou écrit pour que le plaisir advienne. Pour lui, parler d’amour est une jouissance en soi. Regrettant de mêler ainsi trop de sentiments à la sexualité, Pascal s’aperçoit finalement que son manque d’assurance peut être précisément ce qui va susciter l’intérêt de l’autre sexe. Il remet ainsi en question la “norme mâle”, comme l’appelait Lacan, cette idée qu’il faudrait afficher une virilité à toute épreuve pour séduire. Au contraire, l’autre peut trouver sa place dans les failles. La rencontre amoureuse et sexuelle a été jusqu’à prendre, chez lui, la forme hyperbolique d’une expérience mystique de fusion, dont il parle en des termes que Thérèse d’Avila pourrait employer à propos de Dieu ! Ces premières fois, dont il est ici question, sont en effet toujours des événements subjectifs qui arrivent au sujet et au corps, et qui produisent une effraction dans son histoire. Elles font voler en éclats le monde des normes, car, dans l’expérience sexuelle, chacun est confronté à une forme d’étrangeté : chez les humains, il n’y a pas d’instinct dans la pulsion sexuelle. Il faut tout inventer. »
« C’était il y a deux ans. J’avais arrêté de fréquenter un “plan cul’’, et j’avais envie de rencontrer quelqu’un, sans attente bien définie. Me laisser porter m’allait bien. Nous nous sommes rencontrées sur Tinder. Elle avait un petit côté BCBG, mais au lit, c’était une vraie tornade, insatiable. Son appétit était tel que j’en avais des courbatures ! Heureusement que je suis ambidextre… La première fois qu’on a couché ensemble, elle m’a demandé de l’insulter en espagnol. Je l’ai fait sans grand enthousiasme. Ça ne m’emballait pas vraiment, mais sur le moment, un peu prise de court, je n’ai pas dit non. Après coup, en en discutant le lendemain avec des amis, je me suis rendu compte que ça ne me convenait pas du tout. Au début, je leur ai raconté l’expérience comme une anecdote marrante. Mais ils ont dû sentir à mon ton ou à mes expressions que j’étais en réalité plutôt mal à l’aise. Ce sont eux qui ont fini par me demander : “Tu es sûre que tu es OK avec ça ?” On ne peut pas dire que j’ai vécu une expérience traumatique. Mais je me suis forcée à faire à cette fille quelque chose qui ne me convenait pas. Même si elle me le réclamait, ça ne me correspondait pas. Sur le moment, je n’ai pas identifié le problème, parce que j’étais à la place de celle qui donne, pas de celle qui reçoit. Comme il me paraissait plus simple de rompre avec elle que d’avoir une conversation sur le sujet, on s’est très rapidement séparées. Cependant, aussi courte soit-elle, cette relation m’a appris une chose : il n’est parfois pas inutile de s’interroger non seulement sur ce qu’on veut qu’autrui nous fasse, mais aussi sur ce que l’on consent à faire à autrui. Suis-je d’accord avec l’idée de faire ceci ou cela à cette personne ? Dans un couple lesbien, la place qu’on occupe dans la sexualité peut donner un ascendant symbolique sur l’autre. Et même si la fille est OK pour que je lui fasse ceci ou cela, j’essaye de toujours prendre garde à ce que cela me convienne d’abord. »
« Eva renverse la question du consentement en désignant non pas ce que l’on accepte pour soi, mais ce que l’on consent à faire à l’autre. Elle laisse d’abord penser qu’il pourrait y avoir un rapport instrumental à la sexualité, à des techniques de plaisir. Or ce qui se produit avec cette autre femme la dépasse jusqu’au forçage, puisqu’elle ne parvient pas dire “non” à la demande de jouissance qui lui est formulée. Dans son écrit sur Kant avec Sade [1963], Lacan essaie ainsi de formuler une maxime sadienne de façon aussi cruelle que l’impératif kantien. Il écrit : “J’ai le droit de jouir de ton corps, peut me dire quiconque, et ce droit, je l’exercerai, sans qu’aucune limite m’arrête dans le caprice des exactions que j’aie le goût d’y assouvir.” En se soumettant au fantasme de soumission de sa partenaire, Eva dit s’être pliée à une maxime de cet ordre et trouvée instrumentalisée. En lisant ce témoignage, me sont revenues des scènes proustiennes d’À la recherche du temps perdu, où le baron de Charlus exige de Jupien qu’il l’attache pour jouir, ce que ce dernier fait avec indifférence, en se moquant de la condition de jouissance de Charlus. En revanche, chez Eva, cela provoque une sorte de dégoût, même si elle ne prononce pas ce mot. C’est que le désir ne se présente jamais comme une idée claire et distincte. Il se confond avec la jouissance et la pulsion. Elle ne sait pas si elle y consent ou si elle se force. Il arrive qu’on ne se fie pas à son désir, qu’on s’en méfie ou qu’on le brave pour espérer s’en rendre indépendant. Hegel le dit ainsi en affirmant que “le désir, c’est le désir de l’autre”. C’est-à-dire non seulement une intention dirigée vers autrui mais aussi un désir éveillé et mis en mouvement par la rencontre d’un autre désir. Or sait-on jamais ce que l’autre nous veut ? »
« J’ai cru que j’allais mourir. La soirée avait débuté avec un type horrible, qui s’affichait quinze ans plus jeune sur les réseaux. Elle a fini en cauchemar. J’ai passé la nuit au téléphone avec le centre antipoison, après qu’il m’a renversé par erreur un flacon de poppers dans le nez… Mon rythme cardiaque a augmenté, j’avais les lèvres et les doigts bleus, j’ai pensé que ma tête allait exploser. J’avais 18 ans et je croyais que, puisqu’il s’était déplacé, il était impoli de ne pas coucher avec lui. J’ai accepté parce qu’il était là. Cette expérience s’est souvent renouvelée. Plus tard, j’ai rencontré un garçon qui avait gagné en notoriété dans une émission de télé-réalité. Il ne m’intéressait pas vraiment, mais je trouvais cette différence d’univers “exotique”. J’ai bu un café avec lui, il m’a proposé d’écouter son dernier morceau dans sa chambre d’hôtel, ce que j’ai accepté. Puis il s’est jeté sur moi, je me souviens avoir dit non, et que ça s’est passé quand même. En sortant, j’ai immédiatement appelé mon ex-copain de l’époque, en pleurs, qui m’a copieusement insulté et humilié pour ce qu’il estimait être de la tromperie. C’était la double peine. Cet événement a lourdement pesé dans mon rapport au sexe, et je suis encore aujourd’hui en train d’en payer les conséquences… J’ai aussi compris que j’avais tendance à répondre favorablement au désir de l’autre, quel qu’il soit, pour “rejouer la séquence”. Je n’ai réalisé que très récemment, grâce aux débats autour de #metoo, que cela s’apparentait à un viol. Désormais, il y a prescription. Plutôt que la voie “punitive”, j’ai pensé faire des collages de rue pour extérioriser ce qui est enfoui dans les profondeurs de soi et de la société – le transcender. Car il est aussi question de domination sociale dans nos rapports intimes. Les personnes qui violent ne sont-elles pas celles qui estiment que certains biens leur appartiennent ? Alors pourquoi pas la subjectivité des autres ? Il y a urgence à mettre un terme à cela, à renverser ces socles, et ça passe par une ringardisation des codes et de l’imagerie qui accompagnent la culture du viol. »
« Dans ce récit cauchemardesque, où la vie est harcelée par la mort, Antoine nous fait apercevoir combien l’impératif de jouissance est fort. Il dit avoir accepté ce dont il n’avait pas envie par “politesse”. Il fait part d’une d’abolition de sa subjectivité dans la sexualité. L’immédiateté des conditions de rencontre via les plateformes dédiées peut en effet produire une angoisse et renforcer la difficulté à se soustraire à la demande de l’autre, lorsque la sexualité se présente comme une finalité première. L’expérience l’a profondément affecté, dit-il, parce qu’en cédant à une situation, il a ignoré son désir au profit d’une réponse forcée à la jouissance de l’autre. Il y a des conséquences éthiques au fait de “céder” ainsi “sur son désir”, comme le disait Lacan, et Antoine le formule très justement en termes de domination sociale dans nos rapports intimes. Car il n’est plus seulement question d’un droit à la jouissance en l’occurrence, comme on pouvait le dire à la fin des années 1960, mais d’un véritable devoir de jouissance, aussi paradoxal que cela puisse sembler. La sexualité suit non plus la logique du désir mais celle d’un “surmoi”, d’un impératif à la fois subjectif et civilisationnel. La répression de la sexualité a laissé place à l’obligation de jouir. Ou, pour le dire comme Michel Foucault, la norme a cessé d’être répressive, elle est devenue régulatrice. Antoine, lui, parvient à transformer son expérience en cause politique, en en parlant, en l’écrivant via les collages de rue. Il montre comment les voix subjectives et collectives, le “je” et le nous, se mêlent dans l’espace public pour entrer dans une tension et rendre possible l’évolution des normes et des comportements. »
« C’était une soirée alcoolisée avec deux amis proches, en couple. La discussion tournait autour de nos fantasmes, le mien était de faire un plan à trois. Mais je ne les visais pas particulièrement, eux. Je n’imaginais d’ailleurs pas que cela puisse se produire avec des personnes que je connaissais ou, en tout cas, pas avec des amis aussi proches. J’étais célibataire, et j’avais l’habitude de finir la soirée chez ces deux amis et de dormir sur leur canapé, sans ambiguïté. Cette fois-ci, on est rentrés ensemble, un peu aguichés par notre discussion, et on s’est naturellement rapprochés, avant de se laisser emporter. J’ai pris beaucoup de plaisir, sans comprendre que j’étais en train d’accomplir mon fantasme. Mais cela s’est fait très naturellement, je n’étais pas en train de “cocher une case”. Le lendemain, j’ai ressenti un léger malaise en me retrouvant dans leur couple. Sans avoir honte, j’éprouvais de l’embarras. J’avais surtout peur que notre amitié en pâtisse. On a en effet mis un moment avant de se revoir. J’étais un peu chamboulée. J’avais besoin d’en parler et je m’en suis ouverte à l’un de mes meilleurs amis qui, lui, avait une vie sexuelle très libérée. Je savais qu’il n’allait pas me juger et qu’il pouvait tout entendre. J’ai pourtant eu du mal à en venir au fait… Quand je lui ai finalement révélé cette expérience, il m’a répondu : “Ce n’est que ça ?” Je me doutais qu’il réagirait ainsi, mais ça m’a fait du bien ! Avec ce couple d’amis, nous en avons finalement parlé pour éviter une gêne inutile. Aujourd’hui, ça nous arrive d’évoquer brièvement cette aventure mais surtout pour en rire. Notre amitié est restée intacte. Je suis plutôt libérée sexuellement, je n’ai pas de tabou particulier, mais je n’ai pas non plus une vie sexuelle particulièrement originale. C’était déjà pour moi relativement extraordinaire. Je me suis rendu compte, avec une pointe de regret, que je n’avais plus de fantasme, puisqu’il avait été réalisé et que je ne comptais pas qu’il se reproduise. Puis la gêne est partie, et, curieusement, je me suis sentie femme. La petite fille que j’étais ne se serait jamais dit qu’elle pourrait faire un truc pareil. »
« Marie relate une discussion à propos des fantasmes. Notons d’abord qu’il est rare de les avouer. Et, lorsqu’on dit ces fantasmes bien souvent tus, on n’est jamais loin du passage à l’acte. Cependant, en réalisant son fantasme, au lieu de le maintenir à l’état imaginaire d’auxiliaire du plaisir et de la jouissance, elle franchit quelque chose et le regrette. Elle s’est trop dévoilée. Peut-être que “se sentir femme”, puisqu’elle évoque cette problématique, serait d’une certaine façon consentir à être autre à soi-même. Consentir à la jouissance féminine a à voir avec une forme de transgression, mais qui ne nécessite pas tant de réaliser un fantasme, comme celui dont elle fait part, que de parvenir à assumer une altérité indicible en soi, qui nous confronte à ce qu’on ne sait pas de soi-même, à une expérience de jouissance à laquelle on consent sans savoir où elle mènera. L’expérience de franchissement de Marie se situe aux confins du désir et du forçage. Elle se laisse faire par le cours que prend cette soirée de confidences. Ce “se laisser-faire” est doublé d’une volonté d’expérimenter, qui exerce un petit forçage sur l’autre et soi. Elle veut voir. Après coup, elle sait qu’elle ne souhaite pas que cela se répète. En évoquant une pratique pas “particulièrement originale”, elle rappelle par contraste que la sexualité n’est jamais banale. Il n’existe aucune norme en la matière qui puisse nous soulager de l’angoisse de la première fois. La sexualité relève de l’extraordinaire. Que la rencontre soit bonne ou mauvaise, elle nous sort de l’ordinaire de nos vies et laisse des marques, jusqu’à devenir parfois aussi une forme de destin auquel on voudrait d’échapper. À trop vouloir la banaliser, on risque d’oublier la gravité d’un événement fondateur pour le sujet. »