July 16, 2021

Leituras da Philomag

 



Les carnés du sous-sol

Il y a quelques années, une jeune fille de ma famille éloignée est devenue attachée de presse chez Marc Dorcel (pour ceux qui ne connaissent pas, je renvoie aux paroles d’un autre classique contemporain, le rappeur La Fouine : « Le bonheur s’fait rare comme une vierge dans un film de Dorcel », La Fin du monde, 2016).

Un jour, elle m’appelle et m’explique qu’ils s’apprêtent à sortir un film adapté d’un roman du marquis de
Sade, qui se passe dans un château et qui, pour une fois, est vraiment philosophique. Bref, elle aimerait bien une recension dans le magazine. Pour le coup, je l’ai trouvée un peu gonflée :

« Tu imagines ça comment ? Un entretien avec le réalisateur sur l’ensemble de son œuvre ? Ou avec l’un des acteurs, pour parler de La Philosophie dans le boudoir ?

— Carrément ! Ce serait top !

— Désolé, mais ça ne colle pas du tout avec le genre de journalisme que nous pratiquons ici, ce sont des univers trop éloignés…

— Allez… S’il te plaît ! Pour une fois qu’il y a des dialogues super profonds.

— C’est pas la peine d’insister, je ne le sens pas. Et puis, si tu veux que je sois franc, je n’aime pas tellement l’esthétique Dorcel, la vision du sexe qu’il y a derrière : ces corps épilés, bodybuildés, bronzés, maquillés, ces seins refaits, ce culte de la performance, avec en plus l’étalage de luxe, les belles demeures, les châteaux, les grosses bagnoles et les carrosses… Non, très peu pour moi… »

Au bout du fil, il y eut comme un flottement.

« Ah ! c’est marrant ce que tu dis… Vraiment marrant. Parce que, tu vois, ces films-là, ils existent, mais c’est un peu la vitrine. Ce n’est pas ce que les gens regardent en vrai.

— Et ils regardent quoi les gens, en vrai ?

— Bah, y a que deux choses qui marchent : les vieilles et les poilues. »


J’étais sidéré. Tout d’un coup, l’échange devenait philosophique. Le monde du sexe a donc toujours eu deux niveaux : le rez-de-chaussée et le sous-sol, le salon de réception mondain et la cave. D’abord, il y a la version officielle, celle d’une sexualité dans laquelle, en fait, les corps sont effacés dans leur matérialité, n’ont plus ni cicatrices, ni plis, ni mollesses, ni fragilités. On peut maintenir un éclairage cru et constant, vu qu’à ce niveau-là, il n’y a plus de chair et donc plus d’enjeu – comment imaginer Barbie et Ken en train de faire l’amour pour de vrai ? Et puis, il y a le sous-sol. Chacun sait ce qui s’y trouve, mais il vaut mieux que ça reste dans le noir, que ça ne s’ébruite pas trop, parce que les corps rendus à leur matérialité, à leur naturalité, ne laissent pas d’évoquer, en même temps que le contact authentique ou l’abandon au plaisir, le vieillissement et la mort. Tant qu’on reste au rez-de-chaussée, la sexualité, ce n’est rien de grave. Coucher, c’est comme jouer au tennis ou échanger quelques mots superficiels dans un cocktail. Mais si l’on passe devant le soupirail, qu’on descend les marches, alors la sexualité devient l’affaire la plus grave du monde : dans ces ténèbres, nous perdons conscience des contours de notre personnalité, et il se joue autre chose. Nous sommes confrontés à notre condition mortelle dans toute sa nudité et nous essayons de la transfigurer par la jouissance. Et nous y parvenons, quelquefois, mais toujours de manière trop brève, après quoi il nous faut remonter à la surface et prendre un air détaché.


daqui

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